Tetsuo Kogawa ou la radio à mains nues

Le Japon aussi a connu son boum des radios libres, au début des années 80. Contraint par une législation sévère à émettre à des puissances très faibles (de l’ordre du watt), ce mouvement qu’on appellerait plus tard “Mini-FM”, a pris, dans le Tokyo densément peuplé, le visage de multiples micro-communautés, qui parvenaient toutefois à communiquer en créant des stations sur la distance d’un immeuble ou deux. Dans ce contexte de communication restreinte, faire de la radio offrait un prétexte pour se réunir. Le faible rayon de captation poussait l’auditeur à se rapprocher inexorablement du lieu d’émission, jusqu’à franchir la porte de l’appartement voisin et à partager le micro.

Cette histoire pittoresque nous est transmise principalement par Tetsuo Kogawa, un des instigateurs du mouvement Mini-FM. Il raconte (notamment dans A Radioart Manifesto) qu’à travers l’expérience de sa mini-station Radio Home Run, il en est venu à considérer l’action d’émettre comme un acte de création. L’aspect approximatif des programmes n’était pas un problème, c’était surtout le fait de créer quelque chose collectivement qui “revitalisait” les participants. Cette réflexion sur la potentialité artistique et thérapeutique de l’émission radiophonique, malgré (ou grâce à) sa petite échelle, amena cet universitaire né en 1941 à apprendre l’électronique. Pour lui, la main est l’unité minimale du corps pour pouvoir “toucher et être touché”. Son engagement pour des médias réellement autonomes passe donc par la recherche du geste. Fabriquer et utiliser un transmetteur avec ses mains est la condition sine qua non de l’émancipation, une voie ouverte vers une radio vraiment libre.

Lorsqu’on a la chance d’assister à une performance de Tetsuo Kogawa, on peut le voir inviter les spectateurs à se rapprocher. Puis, sous leurs yeux, il se saisit d’une petite plaque de cuivre et d’un fer à souder, afin de fabriquer un mini-émetteur FM à partir des composants électroniques les plus courants. Avec cette création tout à fait fonctionnelle, alliée à quelques autres émetteurs déjà préparés, ainsi qu’à des transistors réglés sur les mêmes fréquences, il se met à jouer physiquement avec les interférences et les battements d’ondes. Cette sculpture acoustique, de matière radiophonique brute, créée par l’apposition de ses mains à proximité des antennes, s’apparente à la performance d’un joueur de theremin, avec davantage d’implication physique et une puissance chorégraphique indéniable.

(cc) Tetsuo Kogawa @ Radio Without Boundaries -- Toronto, May/June 2008 by jugrote on flickr

(cc) jugrote – flickr

Au sens de Kogawa, la radio n’est en rien un phénomène distant et désincarné.

Au sens de Kogawa, la radio n’est en rien un phénomène distant et désincarné. Elle devient un instrument, potentiellement ou plutôt éventuellement musical. Les sons qu’il produit sont surtout recevables en tant que révélateurs d’une relation avec les ondes électromagnétiques – matière invisible, mais palpable, pour laquelle on peut développer des aptitudes perceptives particulières. L’enjeu de cet art radiophonique est avant tout de devenir soi-même le média par la reprise en main de la technologie. Pourquoi nos postes de radio devraient-ils être si limités ? Imaginez un instant que chaque détenteur d’un transistor puisse à la fois recevoir et émettre !

Par cette introduction [adaptée d’un texte originellement écrit pour le n°3 du magazine Discuts], nous inaugurons le premier corpus en langue française consacré à l’art radiophonique de Tetsuo Kogawa. Après avoir évoqué l’artiste et activiste japonais dans son article Brouillages – Les territoires radiophoniques de l’analogique au numérique , puis proposé une traduction du Manifeste Radioart, notre collaborateur pali meursault poursuit son investigation à travers de nouvelles traductions de textes essentiels, ainsi qu’un article en deux parties issu d’une longue correspondance avec Tetsuo Kogawa :

Tetsuo Kogawa : une expérience radiophonique (1/2) porte sur la dimension sociale et collective de la Mini-FM dans le Japon des années 1980

Tetsuo Kogawa : une expérience radiophonique (2/2) s’étend sur le développement de cet art singulier du signal et du corps que constitue le “Radioart” de Kogawa.

Ce double article est complété par les traductions originales de trois textes de Kogawa :

Vers une Radio polymorphe, Tetsuo Kogawa, 1990

Un Manifeste pour la Micro-Radio, Tetsuo Kogawa, 2002-2006.

Un Manifeste Radioart, Tetsuo Kogawa, 2008.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.