Sons inouïs : quand la terre tremble et crache le feu

Après l’espace et l’eau, Syntone s’intéresse aujourd’hui au son paradoxal des tremblements de terre et des éruptions volcaniques. Paradoxal, d’abord, parce que de tels évènements sonores sont à proprement parler impossibles à enregistrer, par leur ampleur ou parce qu’ils interdisent toute proximité. Paradoxal, aussi, car le vacarme ne représente qu’une petite partie de leur onde acoustique, le corps du son étant constitué par des infrasons inaudibles à l’oreille humaine. Fascinants objets sonores, à la fois silencieux et assourdissants.

Ce sont souvent les mêmes scientifiques qui se penchent sur les sons sous-marins et l’acoustique des séismes, les mêmes field recordists qui s’intéressent aux glaciers et aux volcans : focalisation sur la croûte terrestre plutôt que sur les éléments, parenté géographique et géologique, exploration de l’inouï sous toutes ses formes. On évoquera par exemple de nouveau le Lido (Listening to the Deep Ocean Environment), qui a pu observer, grâce à ses hydrophones, les sons du tremblement de terre du 11 mars 2011 au Japon. L’intérêt, ici, réside non pas dans la qualité de la prise de son, mais au contraire dans son défaut : la saturation des micros scientifiques donne toute la mesure de l’ampleur de la catastrophe, impossible à saisir pour eux aussi.

Le « hurlement de la terre », mais pour une catastrophe d’origine humaine cette fois, c’est ce qu’a voulu représenter l’artiste Mark Bain dans une pièce polémique sur les attentats du 11 septembre 2001. Mark Bain, se définissant comme « anti-architecte », utilise fréquemment dans son travail les vibrations propres aux bâtiments ou aux ponts, pour les restituer amplifiées. En 2003, après s’être fait remettre par l’Université de Colombia les enregistrements sismographiques des états de New York et de la Nouvelle Angleterre correspondant au moment où les tours du World Trade Center sont attaquées puis s’effondrent, il a accéléré 2000 fois les infrasons initiaux pour en produire 74 minutes plus symboliques que démonstratives :

Laissons là les catastrophes, pour nous concentrer sur les volcans. Et mentionnons de nouveau1 Andreas Bick pour son travail exemplaire autour des températures extrêmes : Fire and Frost Pattern (motif de feu et de glace) [addendum de mars 2016 : maintenant disponibles en ligne : Frost Pattern / Fire Pattern]. Selon la description du label Gruenrekorder, qui met en ligne de longs extraits, chacune de ces pièces jumelles commence par son moment sonore le plus puissant (une éruption volcanique, un iceberg qui s’effondre) et se décline ensuite dans des sonorités de plus en plus fines (le craquement du feu, des flocons de neige) pour explorer tous les états intermédiaires du feu et de la glace.

Dans Eldjfall (extrait en écoute sur la page), l’artiste danois Jacob Kirkegaard réalise une monographie sonore à partir de vibrations volcaniques en Islande, enregistrées au moyen d’accéléromètres (des microphones de contact très sensibles) placés sous la surface de la terre en divers points autour des geysers. Écoulements, craquements, bouillonnements, on se croirait dans la forge de Vulcain. Une autre version de ce travail est écoutable chez le label Touch Radio, où Kirkegaard mixe le son des accéléromètres avec celui de micros extérieurs.

Dans le documentaire Stromboli, un volcan sur la mer réalisé pour Silence Radio, Irvic d’Olivier adopte un mouvement inverse de celui d’Andreas Bick : il approche lentement le volcan, depuis les paroles et les sons du village à son pied, jusqu’à l’effrayante fournaise qui laisse bouche bée2.

Et pour poursuivre au cœur de la fournaise du Stromboli, on écoutera la pièce éponyme de Geir Jenssen aka Biosphere :

L’Université de Washington, à travers un projet mené par Alicia Hotovec-Ellis, a quant à elle donné à entendre ni plus ni moins que le « cri des volcans », soit la mélodie précédant l’éruption. La remontée du magma se manifeste en effet sous forme de tremor ou tremblement harmonique. Dans le cas du Mont Redoubt en Alaska, ici étudié pour l’amplitude et la hauteur de son tremor, la fréquence acoustique devient de plus en plus aigüe, pour s’interrompre juste avant l’explosion. En accélérant les très basses fréquences pour les rendre audibles, on peut ainsi entendre les « tambours » du volcan juste avant son éruption en 2009 (une heure d’activité condensée en une minute) :

Puis son « cri » (dix minutes condensées en dix secondes) :

L’université de Catane en Italie a quant à elle joué au piano le son de l’Etna (en Sicile) et du Tungurahua (au Venezuela), grâce à des expériences de sonification (mise en sons de données non sonores, notamment pour les rendre plus facilement analysables) effectuées à partir de relevés sismographiques. Le site de ce projet GRID est en berne, mais on en retrouve les pages et sons sur l’Internet Archive. On peut ainsi entendre les sismogrammes sonifiés de l’Etna – et comparer la version pour piano [fichier aif] de ce dernier avec celle du  Tungurahua [fichier aif], plus lente.

Enfin, l’Université de Washington, encore elle, a sans doute mené l’expérience acoustique ultime en mettant en sons le tremblement de terre des tremblements de terre, l’éruption des éruptions, à savoir… le Big Bang. Le projet, mené par le professeur John G. Cramer, s’appuie sur les données mathématiques disponibles sur le fonds diffus cosmologique, autrement dit le rayonnement électromagnétique issu du lointain passé3, pour tenter deux sonifications, l’une en 2003, l’autre en 2013. Voilà donc, selon cette seconde version, le son de nos origines, qui ne fait pas bang mais iooooooon :

1 Pour le reste, nous laissons à nos lectrices/teurs le soin de chercher ce qu’ont pu faire dans le domaine terrien les scientifiques et artistes de notre précédent article, et en milieu aquatique celles et ceux du présent.
2 Sur Syntone, lire aussi la chronique de « Stromboli, un volcan sur la mer », par Pascal Mouneyres.
3 Pour plus d’informations sur ce rayonnement électromagnétique, voir la vidéo d’Honor Harger en fin de notre premier épisode sur les sons inouïs.

Lire les autres articles de la série « Sons inouïs » :

Image de sommaire : pierre c. 38, « « Erta Ale Volcano Magma lake », CC by-nc-nd

4 Réactions

  • jacquin dit :

    Dans ce registre tellurique, il ne faut pas oublier « Cratère » de Hanna Hartman (27′) ! Ce Cratère est un soundscape, une peinture sonore au bord d’une marmite géante, un paysage en ébullition. Eruptions, geysers sons puissants et silences de l’attente retenue…
    A partir de sons naturels, choisis pour leur aptitude à se laisser composer, Hanna Hartman se livre à un riche travail d’hybridation qui révèle leur dimension onirique, et emmène l’auditeur bien au-delà du reportage sonore ou de la musicalisation du réel. Les forces naturelles occupent en général une place de choix dans l’univers de cette artiste suédoise née à Uppsala en 1961, vivant à Berlin et auquel le CNAP a commandé « Acoustic Catacombs » en 2009, une installation en forme de plancher acoustique qui explore les sons souterrains de la ville d’Arles. Cette oeuvre fait partie de la collection d’art sonore du Musée Réattu, premier musée de France à intégrer l’art sonore et radiophonique sans ses collections contemporaines.

  • jacquin dit :

    « Cratère » de Hanna Hartman (Suède) 26′,54″ (Deutschlandradio Kultur Klangkunst, 2003) – a obtenu le Prix Phonurgia Nova 2006
    https://soundcloud.com/gaitelyrique/hanna-hartman-cratere

  • jacquin dit :

    Toujours dans le registre tellurique, je signale Nyey de Silvia Ploner et Nicolas Perret. Une production radio et un version installative (actuellement présentée à la Galerie Le Magasin de Jouets à Arles). A la suite d’une éruption volcanique au large de l’Islande, une île a surgit en 1963, faisant subitement « relief » à la surface des flots. Durant 50 ans, seuls les scientifiques y ont eu accès pour observer et étudier la colonisation du vivant. Dans le cadre d’une résidence Phonurgia Nova/Gmvl Lyon, les deux artistes ont été autorisés à les accompagner pour y mener une double aventure acoustique et poétique, et y créer « Nýey ». Une installation sonore en son 4.1 qui organise une conversation abstraite entre l’environnement sonore – passé, présent et futur – de l’île, et la communauté scientifique qui l’étudie et la contemple. Nýey a obtenu le Prix de la Biennale Internationale de Radio de Mexico 2014. Elle a été présentée à Lyon à l’automne dernier à la Villa Gillet et elle est accueillie par la Galerie Le Magasin de Jouets du 5 décembre au 3 janvier, à l’occasion de l’exposition Reliefs de Jean Luc Agne dont elle rejoint, par le son, la thématique du « surgissement, de l’érosion et du reste ». Pour en savoir plus : http://www.phonurgianova.blog.lemonde.fr

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