« Pour cause d’interférences » : 3 journées critiques et sonores

Quand il y a du bruit de fond ou des parasites dans le poste, ce n’est pas nécessairement que quelque chose va mal ! C’est le signe rassurant que les médias sont autant faillibles qu’accessibles. Pour cause d’interférences, nous faisons un pas de côté dans le son. Pour cause d’interférences, notre écoute prend du recul. Pour cause d’interférences, nous avons le plaisir de vous présenter… Pour cause d’interférences ! Les 26, 27 et 28 septembre 2018 à Blois, La Fondation du doute et l’École d’art de Blois donnent carte blanche à Syntone, en coopération avec la radio Studio Zef et l’École de la nature et du paysage, pour trois journées d’exploration radiophonique et trois approches sonores et critiques de ce qui fait interférence aujourd’hui.

La fiction comme interférence (mercredi 26 septembre)

Récemment, l’emballement médiatique à propos des fake news prétend nous alerter sur une certaine désinformation. Celle-ci est surtout un usage particulier, disons un abus, de la mise en scène de l’information. Cependant, n’importe quel média a recours à la mise en scène, dès lors qu’il faut « angler » un sujet, le passer à la moulinette d’un format et d’une grille, l’adresser à un certain public « cible »… sans parler de ses contraintes économiques et politiques.

Inquiets de la défiance grandissante à leur égard, synonyme de perte d’influence, les médias dominants rivalisent d’ingéniosité, à grand renfort de services « désintox » ou « décodage », pour se positionner comme plus fiables que le concurrent et plus objectifs que jamais.

À rebours de cette tendance, il existe à la radio des écritures qui mélangent fiction et documentaire, bien qu’il soit périlleux et parfois interdit de mêler ces genres : un documentaire se doit, en effet, de relater un sujet de la manière la plus authentique possible et une fiction de garder ses distances avec les faits réels. Mais à travers des créations comme La Guerre des mondes du Mercury Theatre on the Air ou L’Attentat en direct de Claude Ollier entre autres exemples, la petite histoire des « faux-semblants radiophoniques » nous apprend que, loin de vouloir se jouer de la crédulité du public, ceux-ci mettent au jour la fabrique de la radio en tant que média de masse.

Les interférences provoquées entre faits authentiques et mises en scène nous incitent à réfléchir à deux fois à ce qui nous est donné à entendre et elles participent à l’éducation de notre écoute critique. Les faux-semblants nous rappellent que la radio en tant que média est une construction politique. En jouant avec les codes de la radio, ils élèvent celle-ci au rang de médium de création à part entière.

14h – 15h30 : atelier d’écoute critique

Et si nous considérions l’écoute comme une pratique en tant que telle ? Et si nous prenions le temps de décortiquer une création sonore, comme on le fait plus couramment d’un texte ou d’une image ? Initiation à l’écoute critique à travers l’analyse de L’escamoteur de Cabiria Chomel (ACSR, 2016). Un atelier animé par Juliette Volcler.

16h30 – 17h45 : conférence « Petite histoire des faux-semblants radiophoniques »

Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : des faux reportages des années 1920 aux prolifiques docufictions des années 2010, panorama historique des faux-semblants radiophoniques à travers une sélection commentée de 5 pièces représentatives du genre. Une conférence de Juliette Volcler, adaptée de son feuilleton publié par la revue de l’Écoute de Syntone.

18h – 18h45 : restitution de l’Atelier « Rumeurs sur la ville »

« Ils vont construire un nouveau palais, ils vont raser un quartier entier, ils vont multiplier les ponts au-dessus de la mer, qui sont-ils, ces invisibles qui décident de l’avenir de la ville ? Que préparent-ils dans les arcanes invisibles de leurs bureaux dorés ? » À partir d’un projet urbain inventé, qui s’inspire de délires architecturaux ayant existé dans les bureaux de la ville et dont les traces sont encore visibles dans les archives, les les élèves de l’école du paysage ont parcouru la ville et interrogé les habitant·es avec sérieux : « il paraît que… » Dans un second temps, à partir du matériel sonore collecté et de la voix des habitant·es, les élèves ont recomposé une rumeur volontairement fausse, mais qui semble vraie. On pourrait finir par y croire… Un atelier animé par Lolita Voisin, enseignante à l’École de la Nature et du Paysage, Insa Centre Val de Loire.

19h – 20h30 : table-ronde « Le faux en radio, outil de création et d’esprit critique »

Le débat autour des fake news a abouti à une institutionnalisation de ce qui relèverait objectivement du vrai, à promouvoir, et du faux, à bannir. Mais l’histoire et l’actualité de la création sonore viennent chambouler ces catégories aussi simplistes qu’autoritaires, démontrant que le faux peut devenir un moyen précieux – voire indispensable – non seulement pour produire une radio inventive, mais pour éveiller une écoute critique. Discussion avec May Quetboa, archiviste sonore et productrice d’un podcast de reconstitutions historiques ; Christophe Deleu, auteur de docufictions et historien du documentaire radiophonique ; et Olivier Minot, producteur de satires radiophoniques pour la Mégacombi de Radio Canut et auteur pour Arte Radio et Les Pieds sur terre (France Culture). Modération par Juliette Volcler.

Les contre-discours comme interférence (jeudi 27 septembre)

Les radios pirates des années soixante-dix ont paru dans un contexte politique verrouillé par le monopole de la radio d’État. Au discours dominant, des individus et des collectifs ont voulu opposer une contre-culture : d’autres langages, d’autres manières d’entrer en relation avec les auditrices et les auditeurs, par d’autres moyens techniques. C’était une nouvelle façon d’envisager le média radio.

Mais un média quel qu’il soit, au risque de se rendre aussi lourd qu’ennuyeux, peut difficilement perdurer en exposant et en questionnant sans cesse ses rouages. Une exception célèbre fut peut-être l’expérience éphémère de Radio Alice en Italie. En France encore aujourd’hui, quelques radios libres remettent régulièrement leur fonctionnement sur le tapis et consacrent de l’énergie aux débats internes et aux essais. Au sein de ces radios, où la participation à l’antenne est ouverte à une diversité de points de vue et de modes de fabrication, il y a quasiment autant de positionnement ou de non-positionnement par rapport au média que d’émissions.

Mais il existe aussi dans l’ensemble des radios associatives une tendance à l’institutionnalisation. Comme sur le service public même dans sa version la plus déontologique, on officie par habitude, sans se remettre en question. Il arrive – rarement mais heureusement – que la critique puisse s’exercer à l’intérieur même des médias, par des individus ou des collectifs qui connaissent le potentiel créatif du langage et de l’écriture des sons.

14h – 15h : visite de la collection Fluxus

Visite thématique « Le son et Fluxus » dans les collections permanentes de la Fondation du doute, par Marion Louis, médiatrice culturelle.

16h30 – 18h : rencontre avec Radio Mulot

Radio Mulot est une expérience radiophonique clandestine, aussi connue sous le nom de France Museau, née à Paris en 1997 puis grandie dans une autre ville d’Europe jusqu’à aujourd’hui. Au sein du paysage médiatique policé et légalisé, Radio Mulot est unique « dans sa manière d’imbriquer totalement le fond et la forme, au point de devenir un objet d’art à part entière, à écouter comme tel, pour ce qu’il est » (Henri Landré, programmateur musical de Jet FM). Avec son principal animateur, nous découvrirons l’art et la manière de concevoir un flux sonore et d’infiltrer un territoire.

18h30 – 20h : rencontre avec Le Bruitagène

La création sonore engagée, ce serait quoi ? En tout cas, le collectif nantais Le Bruitagène, lui, est véritablement engagé dans la création sonore. À tendance documentaire (mais pas que), les créations du Bruitagène sont diffusées sur de nombreuses antennes associatives francophones, ainsi que sur la RTBF (Belgique) et la RTS (Suisse). Parallèlement à ses créations, Le Bruitagène organise des séances d’écoute publiques et porte la résidence Utopie Sonore depuis 2016, un repaire estival pour la création collective et la transmission de savoir-faire. Rencontre-écoute avec Anaïs Denaux et Aude Rabillon, membres du collectif, sur ce que représente de mener sur du temps long un média sonore et créatif, à têtes chercheuses multiples.

La matière sonore comme interférence (vendredi 28 septembre)

Considérer la radio en tant qu’art et savoir l’interroger, cela sous-entend d’avoir conscience de l’intégralité du dispositif de transmission, qui met en relation une proposition artistique avec un public. La radio peut ainsi être utilisée en connaissance de cause, mais aussi détournée, ou encore reproduite à des échelles autres et selon des modes de participation différents.

L’appropriation des technologies par des « pirates » constitue un acte de résistance face à l’industrie et ses produits manufacturés, qui sont verrouillés pour un usage conditionné. La technique de transmission est alors envisagée comme un instrument au service du projet artistique et des relations qu’il désire engendrer des deux côtés de l’émetteur-récepteur.

De même, le bricolage, la bidouille et la débrouille, le hacking et le do-it-yourself – appelez cela comme vous voulez – nous font reconsidérer la qualification de « normal » ou d’ « anormal » dans ce que l’on entend. La matière sonore employée volontairement comme interférence représente l’irruption d’une sauvagerie qui interagit avec les discours trop policés. Le son, au lieu d’être un simple support du discours, devient le discours, ou le conteste.

Mais à l’époque du contrôle tout-numérique où chacun·e est bien cadré·e, ciblé·e, surveillé·e, comment peut-on encore créer des interférences ?

14h – 17h : atelier de pratiques radiophoniques informelles, par le collectif Π-node

Π-node est une plate-forme expérimentale de développement de formats hybrides de la radio entre les réseaux et la FM. Grâce à l’interconnexion d’approches, d’outils, de technologies et de réseaux différents, une structure de radiodiffusion décentralisée est créée, où chacune des nodes du réseau créé est à la fois à la réception et à la transmission. Une telle structure essaie de rompre avec le schéma classique qui est un schéma unidirectionnel, en lui substituant un modèle horizontal peer-to-peer. Π-node explore les multiples dimensions de la radio – sa physicalité (éther, ondes radio et spectre électromagnétique), sa spatialité (largeur de bande, fréquences), son infrastructure (réseau de récepteurs / émetteurs radio), ses méthodes de production et de diffusion (RDS / SDR), son histoire (radios libres et mouvements de la radio pirate) et sa législation. Plus important encore, Π-node explore les formes à venir et les potentiels persistants de la radio au temps du tout numérique.

17h30 – 19h30 : rencontre Usages et détournements des ondes

Rencontre avec les artistes DinahBird et Nicolas Montgermont, animée par Nicolas Horber (Π-node), et performance de Tetsuo Kogawa.

DinahBird est une artiste de son et de radio qui vit et travaille à Paris. Ses intérêts actuels comprennent les conditions météorologiques anciennes, les médias morts, l’aéronautique et les transactions à haute fréquence. Ses œuvres ont été jouées sur BBCRadio4, l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture, Resonance FM, Kunstradio, et à travers le réseau Radia, et ont été présentés dans des festivals de radio dans plus de vingt-cinq pays à travers le monde. Son projet Antenna Gods, conçu avec Jean-Philippe Renoult, est un road trip sonore et photographique sur le chemin des technologies de communications hertziennes d’hier (antennes micro-ondes, tours et mâts d’antennes géantes), devenues le meilleur outil de transmission du trading à haute fréquence.

Nicolas Montgermont explore la physicalité des ondes sous ses différentes formes. Il s’intéresse à la réalité des ondes dans l’espace, à la manière dont elles se déplacent et se transforment, aux liens entre une source et notre perception. Il travaille les ondes sonores à travers les vibrations des matériaux et leurs propagations, les ondes électromagnétiques naturelles et artificielles sous la forme de paysages radios, les énergies gravitationnelles et sidérales à travers le double prisme de l’astronomie et de l’astrologie. Son projet Radioscape : Besseuil présente des enregistrements radios réalisés dans une petite ferme à Besseuil, dans la campagne bourguignonne. La quasi totalité du spectre radio y a été enregistrée méthodiquement pendant deux semaines et assemblée en un seul son. Écouter cette pièce sonore, c’est traverser les ondes de 3GHz à 30 kHz. Les fréquences se succèdent comme sur un poste radio dont on tournerait lentement le bouton : on parcourt l’une après l’autre les ondes Wi-Fi, les téléphones portables, les raies d’hydrogène observées en astronomie, les échanges satellites, les communications militaires et aéronautiques, les radios FM et AM, les résidus d’orages composées temporellement par la position qu’elles occupent dans le spectre.

Selon ses propres mots, Tetsuo Kogawa « vit dans l’ionosphère, la nuit, en pensant, en marchant et en mangeant végétarien. » Tetsuo Kogawa est surtout connu pour être un des instigateurs du mouvement des radios libres au Japon au début des années 1980, appelé « mouvement Mini-FM » du fait de la technologie d’émission à très faible distance qui était alors employée. Dans l’esprit du concept de « micropolitique » de Félix Guattari, Kogawa a développé une réflexion théorique et une pratique d’artiste basée sur la fabrication de micro-émetteurs radio à l’échelle de l’unité humaine. Depuis de longues années, il s’emploie à diffuse ce savoir-faire par ses écrits et ses workshops et à employer ses dispositifs comme instruments de performance. Il nous propose sa compréhension et son ressenti actuels des phénomènes non-linéaires créés par ses émetteurs simplifiés.

20h – … : Open Studio !

Restitution de l’atelier de pratiques radiophoniques informelles, performance collective et improvisée, bouquet final de Pour cause d’interférences et micro ouvert !

Pendant les trois journées et soirées de Pour cause d’interférences à la Fondation du doute et sur Studio Zef, nous faisons la part belle à l’écoute critique à travers un programme de pièces sonores, de conférences, de tables rondes et d’ateliers. C’est le huitième rendez-vous des 10 ans de Syntone, une programmation conçue par Juliette Volcler, Étienne Noiseau et pali meursault.

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