Numbers Station Beacon de Matt O’Dell, installation au Palais de Tokyo

Qu’y a t’il derrière une voix radiodiffusée ? Quelles forces de l’imaginaire sont déclenchées par ces sons aveugles échappés du poste ? C’est par ricochet la puissance évocatrice de la radio et le mystère de sa séduction qui sont interrogées par Numbers Station Beacon, une œuvre quasi-monumentale de l’artiste britannique Matt O’Dell exposée à Paris.

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Numbers Station Beacon (cc) Wikipedia

Dans un Palais de Tokyo à l’espace élagué par une série de travaux, trône une tour de quatre mètres de haut tenant à la fois du mirador et de la structure pour sirène publique.

D’emblée, l’installation apparaît comme ironique. Ceinte à son sommet par huit lourds haut-parleurs, la tour exhibe une puissance de diffusion potentielle assez impressionnante : mais quand elle ne reste pas muette, elle libère dans un souffle des voix calmes, mesurées, à la limite parfois de l’audible.

Le décalage entre le dispositif et sa production, auquel s’ajoute l’apparente rationalité de ce qui est dit fonctionne en fait comme un piège pour l’auditeur, aussitôt happé par l’énigme.

Les voix égrènent des suites de nombres alignés sans logique apparente. Le ton est monocorde, sans affect, donnant la sensation d’une parole fonctionnelle et robotique, presque oppressive. À lire la fiche technique, on comprend alors que ces énoncés ne sont pas de fiction : Matt O’Dell a enregistré les fameuses stations de nombres qui émettent sur les ondes courtes dans quantités de pays, dont l’Allemagne ou l’Angleterre. Uniquement constituées de lectures de codes, ces fréquences anonymes suscitent encore aujourd’hui les interrogation les plus diverses.

Messages cryptés pour espions ? Réglages techniques ? Jeu pour initiés ? Mesures géographiques, économiques, météo ?

À la croisée de ces récits contemporains possibles, le visiteur de l’expo est confronté à une perte de sens, à des voix qui parlent mais ne disent rien. À lui de combler les vides et de construire ses propres mythes. Matt O’Dell, par ailleurs spécialiste retors des théories de complot, a fait de sa tour une allégorie un rien menaçante du pouvoir constructiviste de la radio, à savoir sa capacité à frapper les imaginations avec presque rien. La force de son œuvre est finalement atténuée par sa présence dans l’espace convenu du musée. On imagine l’effet qu’elle produirait dans la rue, à la portée de tous.

Spy Numbers, exposition prolongée jusqu’au 20 septembre, Palais de Tokyo, 13 avenue du Pdt Wilson, Paris 16ème.

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