L’été du Hörspiel

Qui méconnaît le Hörspiel peut difficilement se représenter dix jours de festival dédié au genre, rassemblant dix-mille visiteuses et visiteurs s’adonnant à l’écoute publique en plein air. Soixante-quinze heures de « jeux d’écoute », « fictions radiophoniques » ou « cinéma pour les oreilles » furent proposées en du 17 au 26 juillet 2015 par l’association allemande Hörspielsommer pour le treizième été consécutif, l’évènement se renouvelant tous les ans au gré des équipes. Depuis Leipzig dans la Saxe, une quinzaine de bénévoles travaillent dix mois de l’année pour présenter en juillet une centaine d’œuvres germanophones, un programme pour la jeunesse, un concours (international, jeunesse, manuscrit de Hörspiel) et des ateliers d’éducation aux médias.

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Alexandra Baraille, la prairie du Hörspielsommer 2015, Creative Commons by-sa

De l’émetteur au récepteur, qui le lui rend bien

Très populaire en Allemagne, le Hörspiel fait partie intégrante de la culture allemande dès l’enfance grâce à sa diffusion sur les radios publiques ou via CD dans les écoles. Mais c’est à Leipzig que se tient et perdure ce festival unique, entièrement gratuit. « C’est la puissance de la scène culturelle locale qui a permis l’émergence d’un tel évènement, et l’ouverture d’esprit des habitants qui permet son ancrage dans la durée » déclare d’emblée Marcus Heinke, président de l’association.

Un engagement humain bénévole qui permet la gratuité, mais aussi une contribution des commerces tels cet assureur qui prend en charge les frais liés à la sécurité, cette banque qui dote les prix des concours, tel hôtel qui offre l’hébergement des invité⋅e⋅s. Partenaire médiatique, la radio associative Radio Blau met quant à elle une partie de ses moyens techniques à disposition du festival. « Nous sommes malgré tout indépendants, c’est important », conclue Marcus Heinke. Sur la prairie où se déroulent ces festivités dans une atmosphère familiale, point de publicité. Deux fois par jour, Jeremy sillonne la prairie avec son arrosoir : le « Donation Man » récolte pièces et billets qui permettront de boucler le budget.

Éduca-son

Des subventions publiques sont par ailleurs versées en fonction des actions pédagogiques menées par des éducatrices/teurs aux médias. Katharina Kraus est bénévole du festival en charge de la jeunesse, catégorie divisée en deux volets : éducation et concours. « C’est la septième année que nous présentons un concours jeunesse, mais pour la première fois, c’est un jury constitué de onze enfants âgés de 9 à 13 ans qui a effectué la sélection et voté ». La doctorante en littérature jeunesse s’est inspirée de ce qui existe déjà dans les concours littéraires : « Cela nous a paru logique que les enfants s’approprient ce qui leur est destiné ». Côté éducation, après deux ateliers passés à faire connaissance et se familiariser avec la radio (caractéristiques du Hörspiel, écrire pour l’oral, animation radio), Katharina Kraus est époustouflée : « Les membres du jury veulent remettre ça l’année prochaine ! Et nous les soutenons : ils ont développé une belle assurance et ont su se trouver comme groupe. »

Les plus petit⋅e⋅s ne sont pas en reste, avec la création d’une fiction sonore live. Il faut moins d’une heure à Christian Neugebauer, journaliste et scénariste pour mettre en son les aventures de Cowboy Jo avec des enfants de 5 ans. « Les pédagogues qui interviennent nous font des prix d’amis », précise Katharina Kraus, « ils savent que nos finances sont limitées ».

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Alexandra Baraille, auditeurs dans la partie Pologne du Hörspielsommer 2015, Creative Commons by-sa

Do-it-yourself sophistiqué

Ce qui frappe sur l’ensemble du festival, c’est le professionnalisme décontracté d’une équipe dotée de moyens simples. La canicule et les rares soucis techniques ne changeront rien à l’efficacité et la disponibilité des trente-cinq bénévoles qui s’activent en ce mois de juillet étouffant. Marcus Heinke reprend : « Nous nous rencontrons dès le mois d’octobre pour échanger autour de créations radiophoniques qui nous ont été envoyées au cours des derniers mois, pas besoin de lancer un appel à projet. Puis, en fonction des thématiques qui se dégagent, nous construisons la programmation. » Les créations indépendantes ou produites par les radios publiques affluent principalement d’Allemagne mais aussi de Suisse, d’Autriche et de Pologne. Et il n’y a pas que de la fiction au Hörspielsommer, on y trouve aussi du documentaire et quelques paysages sonores.

De l’international au plus intime

Parmi les points forts de la programmation cette année, le rôle de la radio en zone de conflit. Julia Tieke est journaliste et productrice indépendante pour l’antenne publique Deutschlandradio Kultur. Marraine de cette treizième édition, elle présente Syria FM et donne à entendre des exilés syriens en Turquie qui s’improvisent reporters, monteurs et producteurs de radios FM. Un vrai besoin pour reconstituer une communication transnationale quand les combats empêchent le fonctionnement d’internet. Alors que l’orage éclate sur la prairie, le public tient bon et redouble de concentration. « L’attention est un facteur important de l’écoute » commente Tina Klatte, après six ans de bénévolat. « Nous sommes en plein air, on doit faire avec le vent, les enfants qui jouent et les gens qui discutent », renchérit Hannah, une autre bénévole, « Le public a en général une exigence d’écoute et s’accroche ». En dépit du sujet grave et des intempéries, personne ne quitte la prairie.

Pour la première fois un pays est à l’honneur. Tina, par ailleurs étudiante en Cultural Studies, a en grande partie monté le projet autour de la Pologne : création d’une cabine téléphonique proposant des cartes postales audio, programmation de trois créations, et rencontre avec les artistes. Territerrortorium est un match acoustique entre les artistes Felix Kubin et Wojtek Kucharczyk. Le point d’orgue de ce collage ludique et onirique est atteint lorsque la superposition de deux chœurs chantant chacun un hymne national crée une nouvelle mélodie en canon. Cette apparente union donne à rêver d’internationalisme dans une partie de l’Allemagne durement touchée par les actes racistes en cette année 2015.

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Alexandra Baraille, panneau pour l’écoute autour de la Pologne, Creative Commons, by-sa

Enfin la question de l’identité n’est pas en reste avec Er und Ich. ERICH, où les pronoms « il » et « moi » composent le prénom masculin Erich, portrait fictionnel d’un « Nobody » (il n’est personne, c’est la construction d’une vie sans corps, il n’existe que parce que le je raconte), selon Helmut Hostnig auteur et lauréat pour la meilleure mise en scène. Pour finir, Qualitätskontrolle oder warum ich Räusperstaste nicht drücken werde [Contrôle qualité ou pourquoi je n’appuierai pas sur « Mute »] proposait un autoportrait à couper le souffle. Sa protagoniste Maria-Cristina Hallwachs n’est plus autonome depuis un accident. Ici, elle demande au soignant de sortir le temps de la prise de son et s’interroge sur la mort, la vie, les choix.

Les échos du festival 2015 à peine éteints, la prochaine équipe du Hörspielsommer va s’atteler dès ce mois d’octobre à sélectionner ceux de 2016.

Image de une : Alexandra Baraille, sculpture d’oreille au Hörspielsommer 2015, Creative Commons, by-sa.

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