« La puissance et la beauté des recherches sur la radio » ~ Entretien avec Golo Föllmer

Faites tourner la planète et écoutez les radios du monde ! Simple comme bonjour, et sacrément addictif, le site Radio.Garden a créé un petit buzz sur Internet fin 2016. Ce que l’on ne soupçonne pas, c’est que derrière l’interface amusante et énigmatique, se cache un projet de recherche européen, dont Golo Föllmer est une des chevilles ouvrières. Après avoir étudié l’art sonore et la musique électroacoustique puis bifurqué sur la sociologie des médias, ce chercheur en « esthétique de la radio » a créé en 2010 le master de « radio en ligne » à l’Université de Halle en Allemagne. Rencontre.

Comment est venue l’idée de Radio.Garden et comment s’est-elle matérialisée en un site web ?

Radio.Garden a été conçue comme un moyen pour communiquer à un plus large public une partie des résultats engendrés par le projet européen de recherche Transnational Radio Encounters (TRE). De 2013 à 2016, ce projet a étudié les phénomènes et les effets de la « transnationalité » de la radio. La transnationalité décrit des relations culturelles ou autres qui dépassent le cadre des nations. Pour la radio, on peut citer par exemple le rôle des « radiodiffuseurs internationaux » (tels RFI ou le BBC World Service), les coproductions entre grandes stations nationales, les similitudes et les différences dans le processus de numérisation de la radio selon les pays, la transnationalité à l’écoute des émissions ou des radios de « minorités » ou encore l’esthétique radiophonique dans cette même perspective transnationale.

À l’origine, nous avions pensé organiser une exposition dans un lieu physique, puis en ligne, avant que les designers Studio Puckey entrent dans le projet avec de nouvelles idées. Ils ont proposé de développer un dispositif d’écoute radiophonique littéralement transnational. Nous y avons adhéré, car cette idée promettait d’offrir un outil pour écouter des stations qui, autrement, auraient été difficiles à trouver ou même à connaître. Le titre [radio jardin ou jardin radiophonique, NdT] vient d’eux également : ils ont choisi le domaine .garden en argumentant que la radio est une couche communicationnelle dans l’écosystème de la Terre, une espèce qui croît de façon organique. Une autre bonne décision a été que la page reste extrêmement sobre : on n’y voit pas le nom des villes, ni même les frontières entre pays, et il n’y a pas de fonction « recherche ».

Pourquoi ce choix de ne pas laisser d’indices toponymiques ?

Pour garder un certain mystère. Les auditeurs et auditrices nous font souvent le même retour : c’est comme un jeu, un défi. Il faut deviner où sont les frontières… Si c’est déjà la France ou encore l’Allemagne… C’est assez sympa pour apprendre la géographie. Et, surtout dans les régions éloignées comme l’Asie ou l’Amérique du Sud, vous êtes souvent surpris de découvrir des pays ou des villes dont vous n’avez jamais entendu parler. De la bonne vieille sérendipité !

Toutefois, pour nous autres chercheur·e·s, cette utilisation de Radio.Garden était à l’origine pensée pour être seulement une accroche afin de faire venir du public sur le site, puis le conduire à rentrer dans la ruche et lui faire découvrir la puissance et la beauté des recherches sur la radio. Avec l’expérience, qui a montré des taux de fréquentation totalement inattendus, la valeur de cette première couche s’est révélée beaucoup plus grande. Les sous-couches scientifiques concernant l’histoire de la radio transnationale [section « History »], les comparaisons transnationales de jingles [section « Jingles »] et les récits personnels à propos de la transnationalité de la radio [dans la section « Stories » au moment où cet entretien a été mené] sont devenues de fait secondaires, mais tout le monde s’en satisfait car nous sommes très heureux/ses de ce que cet outil a pu offrir.

Et maintenant, comment tout cela peut-il évoluer ? Le site va-t-il continuer d’être alimenté ?

Tout d’abord, les designers ajoutent régulièrement de nouvelles stations dans la section d’écoute libre [section « Live »]. À l’avenir, l’UNESCO est intéressée par l’inclusion de Radio.Garden à la Journée Internationale de la Radio le 13 février 2018. Pour l’occasion, nous réfléchissons à ajouter une visualisation et/ou une sonification des données d’usage du site, par exemple les stations les plus écoutées. À mes yeux, il faudrait réaliser cela de manière artistique. Les sous-couches scientifiques s’enrichissent également, en fonction des résultats de nos recherches et des sujets que l’on trouve les plus pertinents à être communiqués à un public non-scientifique.

Dans la section « Jingles » de Radio.Garden, on peut s’informer sur vos recherches à vous, Golo Föllmer, autour de l’habillage d’antenne, mais vous travaillez sur le langage radiophonique en général. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L’étude de l’esthétique radiophonique soutient que la radio n’est pas constituée seulement d’information, mais aussi d’un degré considérable d’indices sonores, qui incluent la façon de parler des présentateurs/trices, toutes les questions liées au temps (les pauses dans le discours, la durée de chaque élément diffusé, leur vitesse quand il s’agit de jingles, mais aussi le temps pour enchaîner ces éléments à travers un fondu par exemple, l’endroit où l’animateur ou l’animatrice va choisir de parler au début ou à la fin d’un morceau de musique, etc.), et aussi le niveau et le rythme à l’intérieur d’un programme, les modifications techniques apportées au son (le filtrage, la compression) ou encore le style de l’habillage d’antenne. Comme il n’y a eu presque aucune recherche dans ce domaine avant 2010, mes collègues et moi devons développer des méthodes spécifiques et des modèles théoriques pour les décrire.

Pour aller plus loin :

Cet article est d’abord paru dans le n°12 de la Revue de l’écoute. Abonnez-vous par ici pour recevoir nos articles en primeur !

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