France Culture casse la création en deux

En cette rentrée 2018-2019, le volume accordé à la création radiophonique sur France Culture est au niveau le plus bas de son histoire : l’émission Création on air n’est plus diffusée qu’une fois par semaine au lieu de deux, le dimanche à 23h. Mais le désintérêt de la direction de la chaîne envers la création représente surtout un profond manque de vision.

Pour démontrer la valeur de la création radiophonique à France Culture, se tourner vers ses plus riches heures ne suffit plus. Même si l’émission l’Atelier de Création Radiophonique (ACR de plus en plus réduit et diffusé de temps en temps dans Création on air) aura cinquante ans en 2019, et même si de nombreuses productions et leurs auteurs et autrices ont été reconnues par des prix internationaux, la direction de France Culture semble décidée à faire table rase du passé. Le problème, c’est que, malgré les grandes déclarations sur « l’ouverture sur la jeunesse et la création » (par Sibyle Veil, la nouvelle PDG de la Maison ronde), personne ne prépare le futur non plus.

Pourtant, les émissions de création sont inscrites dans le cahier des charges de Radio France. Elles se trouvent même gravées dans la définition de France Culture – une définition de la chaîne en une phrase et pas plus – en tant que troisième « programme » du groupe Radio France : « Un programme présentant les divers aspects et modes d’expression des cultures, mettant en valeur le patrimoine et développant la création radiophonique. » Selon le même document, Radio France a également le devoir de « mener des actions de recherche dans le domaine de la création radiophonique ». En cette rentrée 2018, on se demande comment elle tiendra ces engagements, alors que le volume de création sur les ondes atteint le seuil plancher d’une heure hebdomadaire.

Et pourtant ! Les émissions de création constituent – et pourraient mieux constituer avec davantage de moyens – des laboratoires de recherche capables de revitaliser le langage radiophonique. Ces émissions ouvrent des bancs d’essai à des producteurs et productrices extérieur·es, souvent issu·es d’une diversité de pratiques intellectuelles et artistiques, d’origines et d’ancrages sociaux variés – une véritable bouffée d’oxygène, nécessaire au renouvellement des idées et des formes. Mais il faut croire que l’ouverture à la société n’est plus dans l’air du temps. Au contraire, tout doit être sous contrôle. Rappelons-nous l’émission Sur les docks qui, en 2016, a dû céder sa place à La Série Documentaire et à son nouveau mode de fonctionnement : depuis, les producteurs/trices ont l’obligation de concevoir quatre documentaires sur un même thème au lieu d’un seul, ce qui élimine d’emblée les débutant·es et les non-professionnel·les de la radio qui sont aujourd’hui de moins en moins les bienvenu·es dans la maison. De surcroît, le comité de lecture des nouveaux projets de documentaires, qui était autrefois composé d’une équipe de productrices/teurs et de chargé·es de réalisation, a été repris en main directement par la direction. Et c’est cette même mise sous tutelle qui étrangle aujourd’hui Création on air, profitant de l’absence de coordinatrice/teur de la case, depuis qu’Irène Omélianenko a été poussée vers la sortie en juin dernier. En étalant la diffusion des créations déjà en boîte jusqu’au mois de décembre, l’émission fait sa reprise sans personne à la barre.

En interne, les chargé·es de réalisation et les technicien·nes se retrouvent sous-employé·es et s’inquiètent pour le devenir de la création. La direction leur fait miroiter le lancement d’un « podcast natif », une formule dont Radio France se gargarise depuis quelques mois. Mais un podcast indépendant de tout créneau d’antenne se dégage aussi rapidement qu’il se lance. Sans aucun engagement sur le volume horaire, ni sur les moyens, ni sur le mode de fabrication, cette promesse est un écran de fumée qui ne laisse rien augurer de bon. Dans le contexte scandaleux du podcast natif de France Inter en partie externalisé et financé par l’entreprise Disney, l’annonce ne peut qu’inspirer la plus haute méfiance.

Fait annexe de cette nouvelle grille, c’est toute la tranche de 23h qui se voit réorganisée et, du lundi au jeudi, le créneau laisse place à une rediffusion de La Série Documentaire, déjà entendue à 17h. Ce second constat confirme à la fois la logique comptable et le déficit d’idées qui règne à la tête de la chaîne. L’introduction de rediffusions dans la grille de journée et le service minimum pour la création radiophonique représentent deux signaux graves de la mauvaise santé de France Culture et, surtout, un profond manque de vision de la part de sa direction. Réduire la création radiophonique, c’est réduire la diversité culturelle, homogénéiser la pensée, mais aussi, de façon pragmatique, se tirer une balle dans le pied lorsqu’on souhaite toucher un public plus jeune et développer une « image d’excellence ».

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