Crise de l’EPRA : crise de la libre expression radiophonique

Les radios associatives françaises, vous les connaissez tous. Elles sont 650 sur le territoire, et parmi elles la petite radio locale, celle que vous écoutez pour connaître les événements de votre bled, ville ou quartier, à qui vous téléphonez pour pousser votre coup de gueule, encourager une initiative, ou tout simplement afin de rencontrer techniciens, animateurs, journalistes. À moins que ce ne soit celle où vous avez fait vos premiers pas en tant que radioteur bénévole.

À l’instar des radios commerciales et des radios publiques, les radios associatives ont, forcément, besoin de contenu afin de remplir les “grilles du temps qui passe”. Ses moyens, au contraire des deux autres catégories radiophoniques (publique et privée à but lucratif), sont assez maigres, et permettent rarement de payer plusieurs journalistes. Les radios sont parfois même dans l’impossibilité de verser au seul journaliste embauché un salaire convenable.

(cc) Julien Lozelli - flickr

(cc) Julien Lozelli – flickr

Les directeurs des radios associatives passent un temps fou à remplir des dossiers de subventions. Puisque leur statut d’association ne les rend pas meilleurs que les autres, cette course au pognon peut faire apparaître de drôles de situations. Certains animateurs paient pour diffuser leur programme, par exemple, ou bien font leur émission en direct de tel magasin qui vient d’ouvrir, en échange d’une rémunération, non mentionnée aux auditeurs.

Depuis 1992, il existe une autre solution afin de trouver des moyens financiers : ce sont les Échanges et Productions Radiophoniques. Il s’agit d’une banque de programmes à laquelle peuvent adhérer les radios associatives, en échange de quoi ces dernières s’engagent à diffuser les programmes mis à disposition. De plus, les radios membres peuvent aussi fournir des programmes qui leur seront rétribués par les EPRA.

À charge, ensuite, à la radio de rémunérer les producteurs ayant confectionné le produit. L’arrangement dépend donc du directeur de la radio, et diffère d’une personne à l’autre. Le producteur pourra être pigiste, employé en CDI à plein temps ou à mi-temps, en contrat aidé… Certains ne seront même pas payés du tout, et d’autres sous la table. Le producteur touchera en parallèle des droits d’auteur par la Scam, une fois l’an pour les diffusions de l’année précédente. Et ce sont ces droits d’auteur qui lui permettent de toucher une rémunération décente pour son travail. Les conditions de travail peuvent être satisfaisantes, mais dépendent encore une fois des personnes présentes ! Remarquons toutefois qu’il est rare qu’une radio associative soit à la recherche du scoop à deux balles et du scoop toujours. On prend le temps de rencontrer les interlocuteurs, les écouter, les revoir plusieurs fois pour être certain de les avoir bien entendus. Les enregistrements, les émissions ou les reportages peuvent donc échapper aux coupes des mots, et laisser se dérouler la parole jusqu’à sa fin. Aujourd’hui, il y a 170 radios membres.

Les Échanges et Productions Radiophoniques sont un GIP, un Groupement d’Intérêt Public, qui reçoit ses subventions de l’État. Ils ont été mis en place par le FAS (le Fonds d’Action Sociale, devenu FASILD, puis ACSÉ) afin de “favoriser l’intégration en France des populations immigrées”, puis pour promouvoir “l’Égalité des chances”, “la lutte contre les discriminations”, et finalement aujourd’hui “la Politique de la Ville”. Les thèmes abordés sont donc circonscrits, mais les domaines d’investigation sont hétéroclites : sciences humaines, récits de vie, musique, arts plastiques, politique, actualité, sport, entraide associative…

Depuis sa création, des milliers d’heures ont été enregistrées et diffusées. La parole est accordée, aux quatre coins de la France, à des représentants officiels, mais surtout à des personnes “simples”, sans fard ni paillettes. Les EPRA disposent donc d’une véritable photographie sonore de la France depuis 1992, et participent en donnant la parole à tout un chacun, au développement de la démocratie. Le fonds constitue également une richesse fondamentale pour l’Histoire des étrangers et de l’immigration, ainsi que pour celle du milieu associatif en France. Les historiens de demain disposent d’une matière qui n’existe nulle part ailleurs. C’est aussi en partie grâce aux EPRA que les radios produisent et diffusent leurs contenus les plus élaborés ~ entretiens hors studio, reportages, documentaires ~ qui font appel au montage, à la construction d’un point de vue.

L’intérêt du GIP-EPRA, vous l’avez compris, est donc multiple. Il permet de diffuser des témoignages, des faits, des situations en grande partie délaissées par les mass-media. Il rémunère les radios, les alimente, les lie entre elles, permet à des journalistes et à des techniciens de travailler. Tout cela sans que vous, auditeurs, vous vous en rendiez compte !

Dès le départ, certaines radios, ou certains producteurs, n’ont pas souhaité contribuer aux EPRA, désirant conserver leur totale liberté d’expression. En effet cette liberté dépend de la capacité du pouvoir étatique à supporter la critique, ou même à supporter les désaccords d’opinion. Depuis à peu près trois ans par exemple, les sujets sur les sans-papiers ne sont plus diffusés, alors qu’ils l’étaient auparavant. On peut noter aussi que les insultes à l’encontre des gouvernementaux sont effacées, que les sujets sur les Roms ne sont plus les bienvenus. La photographie sonore peut donc être tronquée, si ce n’est truquée en fonction de la largeur d’esprit des financeurs.

Or, depuis la mise en place de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois des Finances) le GIP subit à son tour la frénésie des intégristes du rendement. En quelque sorte, le GIP doit prouver son intérêt public, on lui demande de montrer sa bonne volonté, et il lui faut créer des partenariats pour faire rentrer des sous. Et qu’importe si, pour ce faire, le journaliste se transforme en porte-parole institutionnel. En effet, depuis trois ans, les programmes de l’EPRA ont changé de tonalité. La proportion de reportages de “promotion” d’actions de collectivités locales ou d’agences de l’État est devenue plus importante, tandis que diminue le nombre d’enquêtes de “terrain” qui, en donnant la parole à des habitants ou des acteurs non institutionnels, amènent souvent une critique des politiques en cours.

L’État, pour montrer sa détermination, n’accorde plus de budget pour le moment. L’année dernière, par exemple, des moyens insuffisants ont été accordés et en conséquence le GIP n’a pas pu acheter de programmes pendant trois mois. Et vous savez quoi ? Cette année, c’est rebelote : depuis janvier 2012, plus de budget. Le traitement de la campagne électorale est aux oubliettes. C’est à se demander si le gouvernement n’aurait pas pour ambition de tout fermer. Et nous nous accorderons sur ce point : il est bien plus aisé de gérer le silence au milieu de l’opacité, plutôt que le bruit en pleine lumière.

Katia Scifo, avec la complicité de Benoît Bories, producteurs EPRA

Pour un état des lieux détaillé de la crise actuelle, lire L’EPRA mis à bas ? La radio libre à deux doigts du trépas par Anne-Aurélie Morell sur Med’in Marseille.

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