Contrastes et éclats aux Prix Phonurgia Nova

Le 21ème concours Phonurgia Nova se déroulait à la BnF les 17 et 18 septembre 2016. Invitée pour participer au jury, Syntone revient sur une édition pas comme les autres, entre délibérations tendues et émotions fortes.

Trop grande, trop institutionnelle, trop à l’est ? Ceux ou celles qui doutaient de la qualité de réception par la Bibliothèque nationale de France des ondes phonurgiennes auraient dû mieux scruter son parvis : les fameuses quatre tours enserrantes de Dominique Perrault, censées représenter des livres ouverts, peuvent tout aussi bien figurer les enceintes déployées d’un système de diffusion 4.0. C’était un signe. De fait, jamais le jury de Phonurgia Nova Awards (sans statuettes, on n’est pas au Prix Europa), n’aura disposé de conditions de « travail » aussi favorables. Confort du petit auditorium en retrait dans le dédale de la BnF, pénombre propice au recueillement, voire à la pénitence : un week-end marathon de stase sonorisée, oreilles en alerte, corps assoupis, devant un public patient, attendant bien au-delà de l’heure annoncée le résultat de délibérations à rallonge.

Rumeurs assourdies, liens affermis

Le feutre et les ors de la BnF auront tout autant assourdi l’écho des polémiques naissantes – ou possibles – au sujet de partenariats discutables. La double posture de France Culture, partenaire média et concurrente dans certaines catégories, n’aura pas pesé sur le jury1 : aucun prix attribué. Son représentant, le producteur et réalisateur Alexandre Plank, se signala par la rigueur de son implication et la diversité de ses choix. L’autre alliance contestable (et contestée, dans une lettre ouverte de nombreux/ses artistes sonores), le « Prix du Field-recording » soutenu par La fondation François Sommer et le Musée de la chasse et de la nature (les chasseurs sont-ils phonographiles ?), n’aura pas non plus trouvé de détracteur dans l’enceinte de la BnF. Mais l’innovation de taille, qui fera taire les critiques plutôt fondées et récurrentes les années précédentes, fut la possibilité donnée au jury présidé par Chantal Dumas d’écouter l’intégralité des œuvres avant le concours, via fichiers et liens disponibles. Oubliés donc les jugements sur le fil à partir d’écoutes partielles et d’extraits – pas forcément synonymes, d’ailleurs, de verdicts à l’emporte-pièce (sonore). S’il s’avère inenvisageable de diffuser en direct et en public l’intégralité des œuvres – dont la durée moyenne avoisine souvent une heure – il est désormais loisible aux membres du jury de fonder leurs avis sur un vécu plus intime avec les pièces en lice. En terme de crédibilité, ce n’est pas rien.

L’année des records

Pour le coup bien disposés, les douze membres du jury – Syntone étaient représentée – firent montre d’une générosité inédite dans les archives de Phonurgia. Onze prix et mentions pour cinq catégories, une première qui témoigne à la fois d’une richesse qualitative – favorisée par le record quantitatif de 199 œuvres ou projets reçus – que d’un trouble face à elle. Comment trancher, élire, écarter ? Pour sa création, le Prix du Field recording, ne couronne aucun·e lauréat·e, mais accorde trois mentions spéciales à des œuvres qui n’auront pas tout à fait emporté l’adhésion. Le jury souligna la linéarité un peu scolaire de Écoute la Montagne de Patrick Avakian, malgré une belle sensibilité à l’environnement sonore. Pour Entomophonie syntonale, de Yannick Lemesle, variation très inspirée sur le monde des insectes, la finesse de la production fut reléguée derrière le versant musical et le traitement électro-acosutique, dont se défia le jury. La place dans cette catégorie du  complexe et composite Hidden places de Gabi Schaffner fut, elle, aussi remise en cause, notamment parce qu’elle est émaillée de nombreux entretiens. Un flottement qui renvoie à la difficulté de définir le genre du field recording, mission à laquelle le jury a commencé à s’atteler. Suite l’année prochaine.

Godard remixé et telenovelas

Le prix « Archives de la parole » vit deux pièces parmi les plus marquantes du week-end se disputer  le sprint final. Les mots de ma mère d’Aurélia Balboni, poignante et impudique immersion documentaire dans le quotidien d’une femme atteinte de maladie neurodégénérative (vainqueure) et What we leave behind de Soundwalk Collective (mention spéciale), composition gracile à partir d’archives de tournage de Jean-Luc Godard, qui ressemble au final à un film inédit du maître. Deux formes parfaitement opposées, deux réussites.

Le Prix de la Fiction francophone fut, dans le secret des délibérations, le plus discuté, chacun des deux prétendants les plus estimés manquant chacun son tour de l’emporter sur le fil. Leur égalité finale apparait la plus juste, récompensant deux figures parmi les plus attachantes du paysage. S’inspirant des telenovelas pour s’échapper aux confins de l’absurde, Sebastian Dicenaire, avec Pamela, livre un feuilleton cartoonesque et hilarant, qui dynamite les codes de la narration2. Auteur persévérant, devenu incontournable depuis quelques années, Daniel Martin-Borret perfectionne avec Total Vrac une veine autofictionelle douce-amère, en équilibre précaire entre humour dépressif et regard cinglant sur le monde.

Le Prix Radio Art, « spécialité » historique de Phonurgia, distingue deux pièces à la facture classique – selon la tradition de ce palmarès, c’est-à-dire surprenantes et imprévisibles. Törst, d’Hanna Hartman mixe captations liquides (aqueduc, siphons, pompes) et fragments de trompette, dans un smoothie sonore qui s’écoute comme un goutte-à-goutte accéléré. Trouble de la perception, grossissements, distorsions, niveaux d’écoute différents : Törst vise à l’hallucination auditive. Ex-aequo sur la plus haute marche, Circular Thinking, un très subtil essai sur la circularité, les boucles, les roues, les cycles et les circuits de Mark Vernon et Jen Mattinson fut qualifié par la présidente canadienne de « beau travail sur l’espace et les plans, entêtant et juste ». Pas mieux.


Le grand soir des espoirs

Enfin, le Prix « Découverte Pierre Schaeffer », soutenant les moins de trente ans, met en lumière Nous sommes trop jeunes, nous ne pouvons plus attendre de Clara Alloing, dans lequel des parents racontent le deuil de leur fille noyée. Un récit documentaire qui vaut principalement par la force du témoignage et le lien tissé par l’autrice avec la mère. Mention spéciale aussi à Passagère de Cécile Debove, petite fugue sur les tourments amoureux, avec la naissance d’une écriture singulière et décalée.

Au final, une édition 2016 tout en contrastes esthétiques, entre consignation du réel à forte teneur émotionnelle et échappées formelles. Révélations de plus en plus marquées de jeunes autrices, une dominante belge dans le palmarès, avec des reflets allemands, suisses ou français (un peu). Et surtout beaucoup d’auto-productions primées, témoignant d’un futur enviable pour la création sonore. L’armée de l’ombre est en marche, ses pas lointains se font déjà entendre.

Notes :

1 Le jury était composé de Kaye Mortley, Léa Minod, (Radio Campus France), Aude Dassonville (Télérama), Pilar Subira (Radio Calalunya Music, UER/EBU), David Collin(Le Labo, Espace 2, RTSR), Jean-Loup Graton et François Nida (BnF), Daniel Deshays, Alexandre Plank (France Culture), Amaury da Cunha (Le Monde), Pascal Mouneyres (Les Inrockuptibles et Syntone).
2 Lire la chronique de Pamela sur Syntone : Pamela, fiction en mutation, Juliette Volcler, mai 2015.
Photo de Une : auditorium de la BnF © Fanny Lannoy / Phonurgia Nova

2 Réactions

  • Barat Florent dit :

    Salut les ami/es de Syntone, (et bonsoir Pascal Mouneyres).

    J’étais à Phonurgia cette année, avec une fiction (« Beaux Jeunes Monstres »), et je dois vous dire que je suis très surpris de lire que la grande « innovation » de cette année, qui fera « taire les critiques » (plutôt fondées et récurrentes) des années précédentes, a été la « possibilité pour tous les membres du jury d’écouter l’intégralité des pièces en compétition », excluant donc les « jugements sur le fil à partir d’écoutes partielles ». « Oubliés » ces jugements? Vraiment?

    Pourtant, Pascal, n’est-ce pas vous qui avez clairement annoncé lors d’une des premières conversations publiques du jury que vous aviez décidé de ne rien écouter à l’avance (et donc en intégralité) et de tout découvrir au moment des séances d’écoute publiques? Cela ne revient-il pas à dire que vous avez donc choisi de juger à partir d’écoutes partielles?

    Bon, vous avez eu l’honnêteté de l’annoncer clairement et d’entrée de jeu.
    D’autres membres du jury n’ont pas été aussi clairs, et l’ont dit dans la pénombre de la salle d’écoute, derrière moi notamment, avant le début de la séance « fictions » : » ‘Beaux Jeunes Monstres’, ah, j’ai pas écouté ça… on va voir. »
    D’autres, enfin, ne l’ont pas dit du tout mais leurs commentaires sur certaines productions l’ont prouvé de manière univoque (et nous sommes plusieurs auteurs-trices/réalisateurs-trices présents à nous être fait cette réflexion évidente à propos de plusieurs productions).

    Enfin, bref, je trouve ça assez ironique de votre part d’avoir mis en avant cette « innovation de taille »; mais trouve surtout que c’est un manque de respect évident pour le travail des auteurs-trices/réalisateurs-trices de juger leurs productions sans les avoir écoutées (entièrement s’entend).

    Florent Barat.
    [email protected]

  • Pascal Mouneyres dit :

    Cher Florent,
    vous avez parfaitement raison. J’ai annoncé la couleur assez rapidement, je trouvais cela plus juste. Mais pour tout vous dire, il y avait une raison à cette « posture » : je n’ai pu me rendre disponible pour le concours que quelques jours avant sa tenue. Tout décortiquer m’était impossible. La sélection dans les cinq catégories est très fournie et certaines pièces durent une heure, voire plus. Je précise que nous sommes un jury bénévole, prêt à tout pour promouvoir les créateur sonores. Plutôt que d’écouter certaines pièces au détriment d’autres, j’ai donc préféré ne rien écouter, et m’en remettre au direct. Je ne vous apprends rien, l’art du jugement est quoi qu’il en soit faillible, parfois injuste, toujours subjectif… Mais oui, je maintiens mes propos, il est important que la possibilité ait été donnée au jury de bien préparer ce week-end. Après, je ne suis pas comptable de la manière dont ses membres l’ont utilisée. Je ne suis pas un inspecteur, ce n’est pas mon problème. Je peux en tout cas vous affirmer que certains ont tout écouté. Voilà ! Bien à vous, et encore bravo pour votre fiction, qui, si elle n’a pas été récompensée, n’est largement pas passée inaperçue.

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