Brasero, un feu de joie radiophonique

« Il faut transformer la radio d’appareil de distribution en appareil de communication. Non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire écouter l’auditeur, mais le faire parler, ne pas l’isoler, mais le mettre en relation avec les autres. » C’est avec cette citation de Bertolt Brecht dans sa Théorie de la radio que Brasero s’est annoncée sur la radio associative toulousaine Canal Sud un jour de 2016. « Brasero », comme un cut-up de « brassage radio » et une évocation du « brasier qui consumera le vieux monde » – une expérimentation qui brûle, craque et grésille chaque lundi de 19h à 20h sur les ondes du 92.2 MHz.

 

Au départ, Rico, devenu « orphelin d’émission » suite à l’interruption du très dynamique Front du lundi, lance un appel public à participer à une « émission école », où chacun et chacune pourrait s’essayer à la radio et réfléchir à la fabrication d’un programme collectif. Et ça prend : la première réunion accueille une dizaine de personnes, pour beaucoup néophytes. Les sujets, ancrés dans le quotidien (faire ses courses, le matin, l’été…), permettent de « se donner de la confiance pour faire de la radio »1. Aucune mièvrerie dans la façon d’aborder ces thématiques généralistes, mais, au contraire, une double exigence : la critique sociale et la création sonore. En retour, ces deux dernières se trouvent dépoussiérées par leur confrontation à des thèmes qu’elles ne traitent pas habituellement – voire qu’elles fuient.

« Il était une fois… », la naissance légendaire de Brasero

La critique sociale, héritée du Front du lundi et de Canal Sud aussi bien que des parcours des productrices et producteurs, s’affirme comme la raison première qui motive cette transformation de la radio en « appareil de communication ». La création sonore, quant à elle, permet d’« explorer des formes de dire qui ne soient pas ennuyantes, qui nous amusent et qui amusent nos auditeurs et auditrices » – mais elle vient aussi, fondamentalement, de ce que « le travail en commun nous pousse à la création de façon presque obligatoire ». L’équipe prend le temps de s’affûter les oreilles en s’échangeant des productions extérieures, de discuter longuement la fabrication de chaque édition de Brasero, et elle pratique le « montage papier » : les enregistrements sur le terrain sont écoutés collectivement, et les coupes et les collages réalisés avec des bouts de feuilles avant de l’être sur un logiciel numérique. Un atelier permanent et à géométrie variable, un « media patchwork », où les compétences éditoriales se transmettent et se partagent au même titre que les savoirs techniques. La radio simultanément comme outil d’éducation populaire et d’expression collective, l’une ne s’entendant pas sans l’autre.

« Le changement », Brasero de mars 2017

Les émissions se construisent au gré des affinités personnelles ou partagées. La proposition, par l’une, de jouer avec la forme du conte, aboutit à une savoureuse série d’histoires éminemment contemporaines et engagées. Le goût d’un autre pour le medium radiophonique donne naissance à plusieurs mises en abyme. La ville de Toulouse, où se situe Canal Sud, se voit scrutée sous tous les angles. Le féminisme revendiqué de Brasero la transforme de temps à autre en Brasera, sa « version non mixte » qui rend compte des luttes des femmes depuis leur perspective. Les mouvements sociaux tiennent une place centrale dans le programme, qui s’attache aussi bien à transmettre la mémoire des luttes locales, nationales ou internationales qu’à observer le pouvoir ou à se demander « ce que l’on peut dire de la lutte ». Enfin, une fois par mois, partant du constat que « les médias, mêmes libres, sont très homogènes », Brasero tient à « laisser la place » à des programmes venus d’ailleurs, où s’entendent des voix minorisées.

« De la radio libre », Brasero de décembre 2016

Une expérience singulière, qui vient questionner, sans grandiloquence et en remettant sans cesse sur l’établi sa propre inventivité, les habitudes des émissions militantes comme celles des programmes de création. Et qui contribue, ce faisant, à renouveler ce que signifie faire de la radio libre aujourd’hui.

Notes :

1 Sauf mention contraire, les citations proviennent d’un entretien réalisé avec Rico le 24 avril 2018.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.