À Hong Kong, Sound Pocket organise la résistance sonore

Depuis 2008 à Hong Kong l’association Sound Pocket défend les pratiques sonores et une écoute active de la ville. En pleine campagne de financement pour un album rassemblant des enregistrements du « Mouvement des parapluies », qui en 2014 vit manifester des centaines de milliers de personnes contre le gouvernement, rencontre avec l’équipe féminine de Sound Pocket.

20140928 #umbrellamovement #umbrellarevolution #hongkong #occupyhk #central #iphoneography CC-by Pasu Au Yeung

20140928 #umbrellamovement #umbrellarevolution #hongkong #occupyhk #central #iphoneography (CC-by Pasu Au Yeung)

Septembre 2014. Hong Kong est le théâtre d’un mouvement pro-démocratie sans précédent. Les étudiant·e·s envahissent les rues et squattent les places pour protester contre la main-mise de Pékin sur les élections. Ce mouvement social, politique et créatif est rebaptisé le Mouvement des parapluies, symbole de résistance au gouvernement utilisé par les manifestant-e-s pour se protéger des gaz lacrymogènes. Rapidement, la créativité visuelle née de ce mouvement de désobéissance civile est sauvegardée par l’Umbrella Movement Art Preservation. Mais que reste-t-il des tumultes sonores de la révolte des parapluies ? Si le son est une approche particulièrement éloquente pour qui s’intéresse à la question du pouvoir, il est souvent délaissé par les historien·ne·s. Mais à Hong Kong depuis 2008, l’association Sound Pocket promeut les pratiques sonores en organisant des ateliers et des évènements consacrés à l’écoute. Aujourd’hui, elle a lancé une campagne de financement participatif pour finaliser l’édition d’un album collectif d’enregistrements sonores du Mouvement des parapluies : Day After翌日 [2014. 9.29 – 12.12]. L’idée : présenter le mouvement sous un autre angle, celui du son et de l’écoute.

So Wai-lam, The Voice Messages/ 語音 (extrait)

djsniff, Occupy HK: Police standoff in Causeway Bay, Sep 29, 2am

Salomon Yu-Tik-man : The Clearance/清場 (extrait)

En comparaison avec la profusion d’images, « il existe peu d’enregistrements bruts du mouvement des parapluies. Nous avons contacté les auteurs par le bouche-à-oreille », explique Law Yuk-mui, coordonnatrice du projet. Au cours d’entretiens traduits en anglais, elle questionne huit field-recordistes participants à cet album collectif : « Comment percevons, observons le son et y répondons-nous ? Comment le son peut être utilisé comme acte de résistance ? J’ai interrogé leurs rapports à leurs enregistrements et à leur expérience personnelle du mouvement. La prise de son est une pratique artistique qui pousse à s’intéresser à ses techniques, ses caractéristiques et aux facteurs qui conditionnent l’écoute de celles et ceux qui enregistrent. »

Les 23 pièces de l’album Day After翌日 documentent le mouvement du début de l’occupation à Central le 29 septembre 2014 jusqu’à l’évacuation du campement à Admiralty le 12 décembre 2014. Parmi elles, toutes sont des enregistrements bruts, exceptée The Voice Messages, composée par So Wai-lam à partir de messages vocaux reçus le même jour sur une application mobile très utilisée par les manifestant·e·s :

Pendant le mouvement, nous utilisions tous cette fonctionnalité pour témoigner de ce qui se passait autour de nous. Je me suis rendu compte que j’avais toutes ces voix dans mon téléphone portable. Ces messages, de quelques secondes à une minute, témoignent d’une variété d’expressions et d’émotions des expéditeurs. Quand je les réécoute, quelque chose me réchauffe le cœur, toutes ces voix disant “faites attention, tout le monde.”

Takuro Mizuta (alias djsniff) a capté en binaural les affrontements entre la police et les manifestants la nuit du 29 Septembre, peu après l’utilisation des premiers gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre : « Certains construisaient des barricades, d’autres collectaient du matériel, de la nourriture et de l’eau. C’était avant que les choses s’organisent. Certain-e-s conseillaient de se rassembler, d’autres de fuir. J’essayais de me déplacer entre les différents groupes pour enregistrer tout ça. En arrivant en première la ligne, la situation était vraiment tendue avec la police anti-émeute. J’essayais de documenter cela sans me mettre en danger » se rappelle-t-il.

Deux mois après, le 12 décembre, Salomon Yu-Tik-man enregistrait la destruction du campement pro-démocratie à Admiralty après l’évacuation et l’arrestation des manifestants. Les bruits des pelleteuses sonnent la fin de révolte et de l’occupation de l’espace. Le dernier enregistrement de Day After翌日 à de quoi faire sourire : dès le lendemain, Wong Chun-hoi enregistrait les chants artificiels d’oiseaux et de grenouilles diffusés à l’extérieur d’un bâtiment gouvernemental. Si la paix sociale et sonore est revenue à Hong Kong, elle a des airs d’animaux en plastique.

Écouter, une manière d’être au monde

Un an après le Mouvement des parapluies, l’équipe de Sound Pocket continue de réfléchir au rapport que les Hongkongais·e·s entretiennent, à travers l’écoute, avec leur ville. Une démarche chère à Yeung Yang, fondatrice de l’association  : « Écouter, c’est avoir une relation avec soi-même et avec les autres, une altérité animée ou inanimée qui nous entoure. Ce dialogue incessant avec nous-même et notre environnement est central dans notre rapport au monde. Il nous permet de faire des choix personnels dans un monde partagé avec d’autres. C’est une manière d’être et d’être responsable. À Hong Kong, on observe de plus en plus de mesures dans l’espace public qui encouragent le déplacement rapide des individus d’un point à un autre, en stigmatisant la déambulation et la promenade. Ces politiques classifient et divisent radicalement les espaces. Par exemple, il existe des clôtures excessives qui contiennent les passants sur les trottoirs pour des raisons de “sécurité” ; ou l’architecture standardisée des centres commerciaux qui protège du vent et de la pluie. Ces mesures diminuent notre capacité de réflexion, notre capacité à faire des choix par nous-même en fonction de ce qui nous entoure.

Je pense que l’écoute est une manière de reprendre le pouvoir, dans un environnement qui ne nous y encourage pas pour tout un ensemble de raisons (qui sont parfois justifiées) comme l’utilité, l’efficience, la prospérité.

À l'écoute de Hong Kong © Sound Pocket

À l’écoute de Hong Kong © Sound Pocket

Éduquer pour préserver le patrimoine

Pour partager ces réflexions et l’expérience sonore de la ville, Sound Pocket a lancé une plateforme en ligne The Library by Sound Pocket. On y retrouve des sons bruts et des compositions enregistrées à Hong Kong par différents artistes invité·e·s en résidence comme ceux d’Alessendro Carboni autour de la Shing Mun River, les explorations de Mike Cooper sur Lamma Island ; mais aussi des entretiens (en cantonais et en anglais) reliés au son et des enregistrements du quotidien. Une manière de sensibiliser le public à écouter le monde qui les entoure et à sauvegarder un certain patrimoine sonore, dans une ville qui change très vite.

« Pour nous, les habitants et les artistes sont les meilleurs conservateurs du patrimoine sonore », précise Yeung Yang. « Nous ne faisons pas de la conservation en tant que tel mais de la stimulation artistique (je remercie l’artiste Yannick Dauby qui nous a rappelé cela). Nous collectons aussi des enregistrements réalisés par des habitants, des sons qui selon eux, risquent de disparaître bientôt. Dans ce processus, nous les interrogeons sur leur écoute et leur rapport au son. Nous encourageons à penser cette relation à l’environnement matériel qui influence profondément ce que nous sommes capable d’écouter. »

Financée essentiellement par le Conseil des Arts de Hong Kong et par des levées de fonds ponctuelles, l’équipe entièrement féminine de Sound Pocket met tout en œuvre pour sensibiliser à l’écoute, promouvoir la prise de son et la création sonore. L’année dernière, l’artiste français installé à Taiwan Yannick Dauby était invité par Sound Pocket pour un atelier de field-recording aux limites du territoire de Hong Kong. Chaque année, l’association organise aussi un festival dédié à l’écoute et aux arts sonores, Around Sound Art. En Novembre 2015, ils accueilleront le Danois Jacob Kirkegaard, le Chinois Feng Hao, ou encore le collectif brésilien Chelpa Ferro. L’occasion de déplacer l’écoute et d’explorer des lieux souvent inaccessibles : une maison abandonnée sur l’île de Lamma, un immeuble attendant sa démolition dans le quartier Central ou les toits de la ville de Kowloon.

Design sonore « naturaliste » en milieu urbain, devant le siège du gouvernement. Wong Chun-hoi : The Artificial Frog and Bird/假青蛙、假小鳥 (extrait)

Le collectif Sound Pocket autour de l'artiste sonore Yannick Dauby

Le collectif Sound Pocket autour de l’artiste sonore Yannick Dauby © Sound Pocket

Depuis l’Europe, on pourrait imaginer qu’il existe des liens naturels entre Sound Pocket et le monde de la radio. Pourtant il n’en est rien. « Il est important que ces pratiques et arts sonores puissent être diffusées et entendues à la radio, mais ce n’est pas le cas à Hong Kong, » reconnaît Yeung Yang. « Il existe des radios commerciales, une radio publique gérée par le gouvernement et très peu de web-radios ou de radio indépendantes. » Sans attendre de soutien du milieu radiophonique, Sound Pocket invite à considérer le sonore comme une pratique artistique à part entière, dont les frontières floues ouvrent les possibles de la création. Les sons de ville comme une matière commune invitant à repenser notre rapport au monde.

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